Chroniques de vies ordinaires : "Dans la peau de nos ancêtres".

1 - Marie Louise Eugénie, née en 1899 à Surgères (17)


Cette série intitulée : Chroniques de vies ordinaires : "Dans la peau de nos ancêtres" 

vous invite à plonger dans la vie de nos aïeux, à travers le prisme de leur époque.

 

Cette série sera composée "d'épisodes de vie" liés à un ancêtre ayant vécu à une certaine période.

Bien que romancé, chaque épisode s'efforcera d'être au plus près de la réalité historique et/ou quotidienne afin que nous puissions vivre ce voyage dans le passé, comme si nous étions à la place de l'ancêtre, dans sa peau, dans sa vie.

En fin d'article, quelques repères temporels ("Le saviez-vous ?") témoigneront de l'époque.

 

Chaque nom inscrit sur notre arbre généalogique cache une histoire, un quotidien, des rêves et des luttes.

 


 

Elle s’appelait Marie Louise Eugénie.

 

Née en 1899 à Surgères en Charente-Maritime, femme de la terre, elle a traversé presque tout le XXe siècle, témoin silencieux des bouleversements de son temps. Mariée en 1918 à St Ciers du Taillon, elle y a vécu jusqu'à son décès en 1994.


Date probable de la photo de la carte postale, avant 1913 - Cette photo est publiée sous la licence de CC BY-NC-SA 2.0 Creative Commons

Marie Louise Eugénie est née en février 1899 à Surgères, en Charente-Maritime, dans une France rurale, encore bercée par la lumière tamisée des lampes à pétrole et le rythme du bétail.

 

Elle s’est mariée à l'âge de 19 ans, en avril 1918, en pleine Première Guerre mondiale, à Saint-Ciers-du-Taillon (Petite commune du Sud-Ouest en Charente-Maritime), et c’est là qu’elle a vécu, travaillé, aimé, peiné et tenu avec son mari une ferme avec vaches et vignes.

Le lavoir de St-Ciers-du-Taillon. Cette photo est publiée sous la licence de CC BY-NC -SA 2.0 Creative Commons


"On croit souvent que l’Histoire se fait dans les grandes villes.

Il suffit pourtant de regarder dans le silence d’une ferme charentaise pour comprendre qu’elle se tisse aussi entre les plis d’un tablier, au creux d’un sillon, dans les rides d’un visage qui a tout vu sans jamais faire de bruit."

 


Une femme de la terre, enracinée dans le siècle

Marie Louise Eugénie naît début février 1899, à Surgères, au cœur de la Charente-Maritime. Cette année-là le Président de La République est Félix FAURE, mais juste pour quelques jours encore, car il décèdera le 16 février 1899. Son successeur sera Emile LOUBET pour les 7 années suivantes.

Marie Louise Eugénie n’a que quelques mois lorsque la France entre dans le XXe siècle — un siècle qui la verra presque centenaire.

Elle est fille de cultivateurs, comme tant d’autres dans cette France rurale. À l’époque, sa maison n’a ni électricité ni eau courante. L’hiver est rude cette année-là, on note -5,5°C à Saintes, non loin de là. Les poêles à bois fument, les mains craquent, les seaux gèlent sous l’évier.

Elle grandit dans un monde où les jours sont rythmés par la lumière du soleil et la cloche de l’église. Les dimanches, elle écoute sa mère parler en patois saintongeais :

"Va don m'querre l'barat d'lait ché l'voisin, jé l'ai point vu d'puis l'matin !"

C’est un patois rural, chantant. C'est une langue à part entière mais celle-ci ne franchira jamais les portes de l’école où l’on impose fermement le français. On y punit alors les enfants pour avoir "mal parlé" (d'avoir utilisé ce patois donc... voir en bas d'article) — parfois d’un bonnet d’âne, parfois d’une croix de bois qu’on leur suspend au cou comme symbole de honte.


Un contexte historique rude.

Quand Marie Louise Eugénie se marie, en avril 1918 à St Ciers du Taillon, elle n'a que 19 ans.

 

Le mariage a lieu pendant la Première Guerre mondiale qui ne se terminera que 6 mois plus tard. La guerre fait donc encore rage. Son mari, Maurice, peut-être de retour du front ou peut-être en permission, l’épouse dans un pays à genoux.

Le Président de la République française est désormais Raymond POINCARÉ.

Marie Louise Eugénie a vécu la guerre de loin, depuis la campagne, mais avec ses conséquences bien présentes : des hommes partis au front, parfois disparus, des femmes seules aux champs, des privations alimentaires.

La région, encore très agricole, est peu mécanisée.

La France se reconstruit lentement, et l’épidémie de grippe espagnole (1918–1919) frappe durement.

 

En 1920, l’inflation est forte. La vie est chère, surtout à la campagne.

 

La Charente-Maritime est un territoire contrasté : proche de la côte mais marqué par une grande pauvreté rurale intérieure.

Les hivers peuvent être rudes, les étés, écrasants.

En 1921, on note même une vague de chaleur intense dans l’Ouest.

 

Légende du montage photo ci-contre (Par Nangniot — Travail personnel, CC0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=147764060)

Dans le sens des aiguilles d'une montre : Infanterie française montant en première ligne, soldat allemand avec le stahl helm, cuirassiers allemands en manoeuvre, Fokker Dr.1 du Baron Rouge, Artilleurs français avec leurs canonnade 75 mm, Poilus dans une tranchée à Verdun, nid de mitrailleuse allemand, équipage français d'un char Saint-Chamond.


Une femme sans droits, mais pas sans voix

À peine deux mois après le mariage, elle accouche, alors âgée de 19 ans, de son premier enfant, en juin 1918.

À cette époque, accoucher à domicile est la norme. Pas de sage-femme diplômée pour tout le monde : c’est souvent une matrone du village, une voisine expérimentée, qui aide la future mère. Il n'y a pas de péridurale. Juste une bassine d’eau chaude, quelques linges, une prière à voix basse, parfois un verre de vin rouge « pour le courage ».

Et dans cette vie où elle donne tant, elle n’a pourtant pas voix au chapitre :

  • Elle ne peut pas voter (il faudra attendre 1944).

  • Elle ne peut pas ouvrir un compte bancaire sans l'autorisation de son mari (jusqu’en 1965).

  • Elle ne peut pas porter un pantalon sans être « déguisée en homme » selon la loi (l’interdiction ne sera abrogée… qu’en 2013 !).

Et pourtant, elle travaillait. Elle trayait les vaches, vendangeait les vignes, retournait la terre. Souvent en robe, bien sûr. Même si elle aurait bien aimé un pantalon parfois, pour tirer la charrette.


Le quotidien, sans confort mais pas sans dignité

Chaque matin, Marie Louise Eugénie allume la cuisinière à bois (seul moyen de chauffage et seul moyen de cuisiner ou de faire chauffer l'eau). L’odeur du bois brûlé est la première chose que les enfants sentent en se levant. Ensuite, il faut aller chercher l’eau au puits ou à la pompe du village. Le linge se lave au lavoir, dans l’eau froide (parfois glacée), à genoux, avec du savon de Marseille et une battoir.

Les wc n'existent bien sûr pas encore, encore moins à la campagne. Pour se soulager, c'est soit dans la nature, soit dans des "toilettes" souvent situées à l'extérieur de la maison... la fameuse cabane au fond du jardin. Celle-ci est souvent construite en bois. A l'intérieur on y trouve un assemblage de planches surélevées et un trou en leur milieu. Trou arrondi de taille suffisante, un peu comme celui de nos cuvettes actuelles, que l'on recouvre avec un couvercle pour limiter les odeurs... et les mouches. Les feuilles des journaux déjà lus font office de papier toilette. On comprend aisément le pourquoi du pot de chambre, car en pleine nuit et dans le froid, aller dans la cabane du fond du jardin... Bon courage.

L’aspirateur ? Inconnu à la campagne.
Le ménage se faisait à la brosse, au balai de genêt, avec des produits simples : vinaigre, savon de Marseille, cendre.

Les nuits d'hiver sont rigoureuses. Pour se réchauffer, on glisse une bouillotte en métal remplie d'eau chaude dans le lit, enveloppée dans un tissu pour éviter les brûlures.

L’électricité n’arrivera que dans les années 30, parfois plus tard à la campagne. Avant cela, les veillées se font à la lueur des lampes à pétrole. Puis la radio entrera dans la maison — une voix venue d’ailleurs, qui parle du monde. Elle y écoutera le Général de Gaulle à la Libération. Puis elle y entendra le nom de Pompidou... Puis celui de Mitterrand.


Entre superstition, et sous-vêtements

Marie Louise Eugénie est-elle croyante ? Superstitieuse ? Peut-être un peu des deux, comme beaucoup de femmes de son temps.

On ne renverse pas le sel. On ne pose pas le pain à l'envers sur la table (voire on le signe discrètement de la main avant de le rompre). On touche du bois. On garde une médaille de la Vierge cousue dans la chemise de baptême du bébé.

Et la lingerie ? On parle peu de cela dans les campagnes. Jusqu’aux années 20-30, les femmes portent surtout une chemise longue, parfois avec une culotte fendue. Rien de moderne ou d'affriolant, mais du pratique, du coton et de la pudeur.

Les soutiens-gorge ? Pas avant la Seconde Guerre mondiale pour la plupart.

 


Une longévité témoin du monde

Marie Louise Eugénie s’est éteinte, presque centenaire, en octobre 1994, dans son village de toujours. Elle avait perdu son époux en 1931, lorsqu'elle était âgée de seulement 32 ans. Elle lui avait donné 3 enfants.

Marie Louise Eugénie aura vu se succéder pas moins de 15 Présidents de la République française.

Au fil des décennies, elle aura également vu son monde évoluer avec l’arrivée de l’eau courante, de l’électricité, des frigos, des télés, des machines à laver, les antibiotiques, la pilule, l'obligation de bulletins de salaire, et... l'accès progressif des femmes à de nouveaux droits.

Elle aura enterré des amis tombés à Verdun et vu l’homme marcher sur la Lune à la télévision. Télévision qu'elle aura connue en noir et blanc, puis en couleur.

Du fait de sa longévité, et des naissances issues de ses descendants, Marie Louise Eugénie aura eu l'opportunité de connaître ses arrière arrière petits enfants. 5 générations différentes réunies de leur vivant. C'est assez rare pour être souligné.

Comment je le sais ?

Je le sais parce que j'étais là. Je suis née en 1963 et j'ai eu la chance de la connaître et de lui présenter mon premier enfant. 

Je me rappelle de son patois (je ne comprenais rien) et je me souviens de sa ferme, de l'étable, de la petite mare et du pressoir dans une grange où nous avions l'interdiction formelle de rentrer (dangereux pour les enfants)

 

Marie Louise Eugénie était mon arrière grand-mère.


Ci-dessous, une journée ordinaire à la ferme en 1920 et à suivre la série des "🧠- Le saviez-vous ?" qui est à vocation de repère temporel.


Une journée ordinaire 


5h30 — Se lever avec le jour… ou plutôt avant"

Pas de grasse matinée, pas de réveil électrique. Ce sont les bêtes qui dictent l’heure. Les vaches à traire n’attendent pas. En jupe, sabots de bois aux pieds, Marie Louise Eugénie descend à l’étable. Elle traite à la main, parfois dans le froid mordant des hivers atlantiques.

À cette époque, on ne parle pas de "produits laitiers" mais de lait cru, de beurre baratté à la maison, d’une économie vivrière où rien n’est gaspillé.

7h — Soupe au lait et pain dur

Le petit-déjeuner est simple : un quignon de pain, une soupe au lait chaud, un peu de fromage si les bêtes ont bien donné.

Pas de café, encore moins de jus pressé ou céréales industrielles.

L’énergie vient du travail, pas du sucre.

8h30 — Les tâches s’enchaînent : champs, potager, volailles

Dans leur ferme de Saint-Ciers-du-Taillon, elle et son mari s’occupent de tout. Les vaches bien sûr, mais aussi un peu de vigne (la région produit du vin de pays), du blé, des poules, lapins, et un jardin nourricier qui fait vivre la famille.

Les journées sont rythmées par les saisons : les semailles, les moissons, les vendanges. En été, on travaille jusqu’à la tombée de la nuit. En hiver, on répare, on coud, on prépare la saison suivante.

13h — Repas et linge

Le repas se compose de ce que la terre donne : soupe de légumes, pommes de terre, viande de porc parfois (élevé à la ferme). Ensuite, la lessive — pas dans une machine, mais au lavoir, à genoux, avec de l’eau glacée et du savon de Marseille

19h — Repos à la lumière d’une lampe à pétrole

Le soir venu, on soupe léger, on tricote, on parle, on échange les nouvelles du hameau. La radio est rare, l’électricité pas encore généralisée dans les campagnes. On vit avec le silence, avec les autres, et avec la mémoire des anciens.


🧠"Le saviez-vous ?" (repères temporels)


🧠 Le saviez-vous ?

avril 1918 : Marie Louise Eugénie se marie alors que la guerre n’est pas encore terminée.
C’est le jour même où débute la deuxième bataille de la Lys, une offensive majeure des Allemands en Belgique 
En France, des familles entières enterrent encore leurs fils.
La paix ne sera signée que le 11 novembre 1918.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_la_Lys_(1918)

🧠 Le saviez-vous ?

Les droits des femmes à l’époque de Marie Louise Eugénie.

En 1918, les femmes françaises n'ont toujours pas le droit de vote, ni celui d’ouvrir un compte bancaire sans l’accord de leur mari.
Elles ne peuvent pas non plus exercer certaines professions « d’homme » (comme notaire, avocat ou juge), ni disposer librement de leurs biens une fois mariées.
Il faudra attendre 1944 pour le droit de vote, et 1965 pour qu’une femme mariée puisse travailler sans l’autorisation de son époux.
👉 Autrement dit, Marie Louise Eugénie a passé toute sa vie dans un cadre légal profondément inégalitaire, même si, sur le terrain, les femmes géraient déjà souvent tout.

🧠 Le saviez-vous ?

Accoucher chez soi, la norme jusqu’aux années 1950

En 1918, Marie Louise Eugénie a accouché de son premier enfant le 30 juin 1918, soit un peu plus de deux mois après son mariage.
À cette époque, plus de 90 % des femmes accouchent à domicile, entourées d’une sage-femme, d’une voisine expérimentée, ou parfois seules si l’accouchement allait vite.
Pas de péridurale, pas d’eau chaude à volonté, et encore moins de suivi médicalisé.
🏡 Les accouchements se faisaient dans la chambre, sur un lit ou même sur une chaise d’accouchement, avec des linges, un seau d’eau, du vinaigre blanc… et beaucoup de courage.


🧠 Le saviez-vous ?

En 1921, plus de 60 % des femmes en France vivent et travaillent à la campagne.
Elles n’ont ni droit de vote, ni reconnaissance légale en tant qu’« agricultrices ».
Pour l’État, elles sont « aides familiales ».
Ce n’est qu’en 1980 que ce statut commence à évoluer !
Pourtant, sans elles, les fermes ne tournaient tout simplement pas.

🧠 Le saviez-vous ? 

Porter un pantalon était illégal pour une femme

En France, une ordonnance de 1800 interdisait aux femmes de porter un pantalon sans autorisation préfectorale (!).
Même si cette loi est tombée en désuétude avec le temps, elle ne sera officiellement abrogée qu’en… 2013.
Jusqu’aux années 1960, les pantalons restent très mal vus sur les femmes, sauf pour le travail agricole, et encore… avec tolérance.

🧠 Le saviez-vous ? – Matériel ménager à la ferme

En 1920, dans une ferme comme celle de Marie Louise Eugénie, il n’y avait ni machine à laver, ni réfrigérateur, ni gazinière moderne.
La lessive se faisait au lavoir, la cuisine sur un poêle à bois, et les conserves étaient faites maison pour pallier l’absence de frigo.


🧠 Le saviez-vous ?

Été 1921 : une canicule historique frappe l’Ouest de la France.
Les relevés montrent plus de 38°C à Cognac, à quelques dizaines de kilomètres de Surgères.
Les récoltes sont brûlées sur pied, les vaches peinent à produire du lait, et l’eau se fait rare.
Ce fut l’un des étés les plus secs et chauds du début du XXe siècle.
Une année difficile pour les petites fermes comme celle de Marie Louise Eugénie.

🧠 Le saviez-vous ? 

La vie sans eau courante

Jusqu’aux années 1950, dans de nombreux hameaux de Charente-Maritime, l’eau ne coule pas au robinet.
On va la chercher au puits, parfois plusieurs fois par jour, avec des seaux ou des cruches.
Les ablutions sont sommaires, souvent faites dans une cuvette. Les bains complets sont rares et réservés aux grandes occasions (ou à l’été). Ils sont généralement fait dans de grandes bassines en zinc.
C’est aussi pour cela que l’arrivée de l’eau courante a été vécue comme une véritable révolution domestique.


🧠 Le saviez-vous ?

La radio, première "invasion" technologique du foyer rural

Dans les années 1930, les premières radios arrivent dans les campagnes.
C’est souvent la mairie, l’école ou le café du village qui en possède une en premier.
Les familles se réunissent pour écouter les informations ou les feuilletons.

C’est "la voix du monde" qui entre dans les maisons, pour la première fois, avec ses accents parisiens, ses musiques, ses nouvelles du front ou des colonies.

🧠 Le saviez-vous ?

La lingerie des femmes rurales en 1920

À l’époque de son mariage, Marie Louise Eugénie portait sans doute une combinaison de coton, un corset ou bustier souple, et une jupe longue, même pour les travaux agricoles.
Les culottes fendues, longues et ouvertes à l'entrejambe, étaient encore courantes (eh oui, plus pratique pour les besoins dans la nature !).
Le linge de corps était lavé à la main, parfois à l’eau froide, et rarement changé tous les jours — faute de moyens, pas de propreté.
Les soutiens-gorge n’apparaîtront vraiment qu’à partir des années 1930.

 

🧠 Le saviez-vous ?

Les croyances rurales avaient la peau dure

En 1900, à Saint-Ciers-du-Taillon comme ailleurs, les campagnes vivaient encore au rythme de croyances transmises oralement.
Planter un couteau dans la terre pour éloigner l’orage,
mettre une faucille sous le lit d’une femme enceinte pour la protéger du mauvais œil,
ne jamais faire tourner les bottes à l’envers, sous peine de mort prochaine,
– ou encore offrir du pain et du sel aux nouveaux mariés pour leur porter bonheur.

... Le surnaturel, les saints protecteurs et les légendes locales faisaient partie intégrante du quotidien, au même titre que les prières.

 


🧠 Le saviez-vous ? 

Le patois saintongeais, langue maternelle oubliée

Mon arrière-grand-mère, comme beaucoup de gens nés en Charente-Maritime à la fin du XIXe siècle, parlait le patois saintongeais, un parler issu de l’ancien langue d’oïl, avec des influences du poitevin, du gascon, et même de l’occitan.

Je me souviens que petite, je ne comprenais pour ainsi dire rien de ce qu'elle disait.

Ce n’était pas juste un accent, c’était une langue à part entière, avec ses mots, ses tournures, ses sonorités rurales.

On y disait :
"Qu’es aquò ?" pour "Qu’est-ce que c’est ?",
"I’ fait frad" pour "Il fait froid",
"J’avons" au lieu de "nous avons", etc.

Jusqu’à la fin des années 1930, le patois était la langue de tous les jours à la campagne. Le français "de l’école" était réservé à l’écrit ou aux rares échanges administratifs.
Mais à partir de la IIIe République, on encourage fortement l’abandon des dialectes, et les maîtres d’école punissent les élèves qui parlent patois en classe (le fameux "symbole", un objet honteux transmis à celui qui parlait patois).

Marie Louise Eugénie faisait peut-être partie de cette génération "bilingue honteuse", parlant français avec les "étrangers", mais continuant à penser, jurer, prier ou plaisanter en patois.

 

Aire linguistique Saintongeais -Par Droop — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=6376444


🧠 Le saviez-vous ? 

Le fameux “symbole” à l’école ... Petite explication historique

Le symbole était un objet de honte utilisé par les enseignants (surtout entre la fin du XIXe siècle et les années 1930) pour

punir les élèves qui parlaient patois à l’école.
Cela pouvait être :

  • une vieille chaussure,
  • un morceau de bois,
  • une pancarte autour du cou où était écrit "Je parle patois",
  • un collier ou un bâton ridicule.

L’élève surpris à parler sa langue maternelle devait porter cet objet jusqu’à la fin de la journée (ou jusqu’à ce qu’un autre élève soit surpris à son tour).
C’était une stratégie d’humiliation pour éradiquer les langues régionales, considérées alors comme un obstacle à l’unité nationale et au progrès.
Résultat : des générations entières ont appris à se taire, à avoir honte de leur culture orale... tout en la gardant vivante à la maison.


🧠 Le saviez-vous ?

Les prénoms les plus donnés à Surgères et Saint-Ciers-du-Taillon vers 1899

À la fin du XIXe siècle, les prénoms sont souvent catholiques, classiques ou familiaux.
À Surgères et Saint-Ciers-du-Taillon, on retrouvait souvent en 1899 :
Pour les filles : Marie, Jeanne, Louise, Eugénie, Marguerite, Antoinette
Pour les garçons : Jean, Pierre, Joseph, Louis, Léon, Henri
👉 Les enfants reçoivent souvent le prénom de leurs parents, de leur parrain/marraine, ou d’un oncle/tante, ou encore d'un grand-parent disparu. D’où les prénoms souvent multiples et/ou composés, comme par exemple Marie Louise Eugénie.

🧠 Le saviez-vous ?

Vivre presque 100 ans, c’est traverser un monde entier.

Marie Louise Eugénie est née en 1899, sous le gouvernement de Félix Faure, alors que la voiture est encore une curiosité.
Marie Louise Eugénie est décédée en 1994, sous François Mitterrand, alors que l’ordinateur personnel et Internet commencent à entrer dans les foyers.
 Entre-temps, elle aura vu arriver l’électricité, la radio, le téléphone, la machine à laver, la télévision, le frigidaire, l’aspirateur, les antibiotiques, la pilule, l’homme sur la Lune… et les supermarchés !

🧠 Le saviez-vous ?

Les enterrements à Saint-Ciers-du-Taillon (ou dans les tous petits villages) un rite de "communauté"

Lorsqu’un villageois décède, comme Marie Louise Eugénie en 1994, tout le village (ou presque) se déplaçait aux obsèques.
C’est une tradition encore vivante dans certaines campagnes : le dernier hommage est collectif, il dépasse la famille.
Et ceux qui l’ont connue enfant, jeune épouse, puis vieille dame, l’accompagnent une dernière fois.
Une vie, presque centenaire ou pas, y est souvent encore, honorée comme une mémoire vivante du village.


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